Intervention de Thibault BAZIN en discussion générale – examen du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement
Retrouvez ci-dessous la vidéo de mon intervention à la tribune de l’hémicycle ce lundi 22 janvier 2024 au sujet du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement :
« Merci Madame la Présidente, Monsieur le Ministre en charge de la transition écologique,
Monsieur le Président de la commission des affaires économiques,
Messieurs les rapporteurs, Mes chers collègues,
Le gouvernement a inscrit à l’ordre du jour ce projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.
Le titre semble porteur de promesses.
Mais il n’y a même pas à ce jour de ministre en charge du logement. Alors que le secteur est en crise, l’exécutif ne semble pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation et de l’urgence d’y remédier. Ce n’est pas très sérieux. Cela témoigne aussi du peu de considération apportée par l’exécutif au sujet du logement qui n’apparaît pas au rang des priorités nationales.
Le gouvernement a manqué l’occasion du budget pour 2024 pour répondre à la crise du logement. Au-lieu de mesures fortes, l’exécutif a effectué de nouveaux rabots sur le prêt à taux zéro et imposé une évolution inquiétante du dispositif « ma prime rénov » faisant craindre encore moins de rénovations et des sorties massives de logements du parc locatif devant le mur calendaire de l’interdiction de location des mal classés.
Plus de 100.000 copropriétés sont pourtant identifiées comme étant en fragilité auxquelles s’ajoute un nombre de plus en plus important de copropriétaires qui ont des difficultés à payer leurs appels de fonds trimestriels, basculant en impayés de charges.
Cette situation s’est amplifiée avec les exigences de travaux de rénovation y compris énergétique, nécessitant de définir un cadre plus strict en matière d’administration des copropriétés tout en prévoyant des mesures plus protectrices à l’égard des copropriétaires.
Certes des mesures techniques de ce projet de loi sur l’habitat dégradé vont dans le bon sens : par exemple, une définition plus large à l’article 1 des opérations de restauration immobilière.
Mais est-ce que l’ensemble de ce projet est à la hauteur des défis actuels pour le logement dégradé ?
Malheureusement non.
En l’état actuel du projet de loi, les articles semblent insuffisants pour répondre efficacement aux objectifs d’accélération de la rénovation des copropriétés et du redressement des immeubles dégradés.
Il y a de bonnes idées mais qui peuvent s’avérer inopérantes ou presque. Ainsi l’emprunt collectif qui serait ainsi facilité par l’article 2 pose des questions. Tous les copropriétaires, même ceux qui ne veulent pas en profiter, seraient tenus de participer à l’emprunt et de participer au remboursement de l’emprunt sur plusieurs années. Comment les prêteurs et les organismes de caution vont considérer les copropriétaires qui seraient inscrits au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) ? L’Etat va-t-il apporter des garanties aux copropriétaires défaillants ? Quelles conséquences sur le cautionnement solidaire garantissant le syndicat ? Quels organismes accepteront de cautionner ce risque avéré ? avec quel surcoût ? Plus généralement, comment l’Etat va accompagner les copropriétaires modestes à faire face aux investissements nécessaires pour assurer la transition énergétique ? Hélas et c’est mon plus grand regret, ce projet de loi fait l’impasse sur les moyens pour aider à la rénovation de l’habitat dégradé, à part ce prêt collectif facilité, qu’il faudra rembourser !
Concernant le financement des copropriétés, enjeu essentiel alors qu’elles doivent adopter des programmes pluriannuels de travaux, ne faut-il pas plutôt maintenir le choix entre le nouveau prêt collectif à adhésion obligatoire et les solutions existantes de prêts collectifs à adhésion individuelle ?
Autre question suscitée par votre projet concernant le délai de paiement cash des copropriétaires refusant le prêt. Ils devront dans les 6 mois de la notification verser l’intégralité de leur quote-part du coût des travaux de rénovation, au syndic.
Or, la pratique montre que les délais de mise en place des crédits collectifs actuels (y compris EcoPTZ) sont largement supérieurs (jusqu’à 18 mois). Ainsi le copropriétaire aurait à verser sa quote-part sur un compte dédié pour un crédit non mis en place. Le point de départ des 6 mois ne devrait-il pas être revu pour être cohérent avec la réalité de la mise en place du crédit ? Je proposerai des amendements en ce sens.
Toutes ces questions m’incitent à penser que le projet de loi, en l’état, n’est pas abouti. En témoignent les 18 amendements déposés en dernière minute par le gouvernement sans nous avoir concertés. C’est dommage alors que nous sommes ouverts aux discussions pour soutenir ce qui ira dans le bon sens.
Certes plusieurs articles semblent intéressants en termes d’amélioration des procédures en vue de l’expropriation ou de la préemption quand cela se justifie. Mais se pose la question de la suite. Quels moyens pour les collectivités ou leurs opérateurs afin ensuite de rénover ces logements dégradés en se dessaisissant de ces outils ? Combien d’immeubles en ruine, acquis par les collectivités, peinent déjà aujourd’hui à être réhabilités faute de moyens ? Plus compliqué encore dans les immeubles en copropriété si la collectivité devient propriétaire d’un logement dégradé… comment ensuite va-t-elle interagir au sein de la copropriété ? Après l’avoir rénové, a-t-elle vocation à conserver ce logement ou à le céder ? Pourra-t-elle le vendre à un prix de marché qui soit inférieur au montant des travaux nécessaires ?
Par ailleurs, l’article 13, visant à réformer la procédure d’état de carence lorsqu’un juge est saisi aux fins de nommer un expert, pose lui vraiment problème. Il institue une présomption de graves difficultés lorsque des comptes ne sont pas transmis à l’expert dans un délai de deux mois. Cela ne semble pas opportun eu égard à la gravité des conséquences d’une telle présomption, à savoir l’expropriation de l’immeuble considéré. Sauf à nous en donner la pleine justification, êtes-vous prêt à y renoncer ?
En fonction de la tenue de nos débats et des amendements qui seront adoptés, nous arrêterons en responsabilité notre position de vote sur ce projet de loi inabouti en l’état. Alors mes chers collègues, amendons, amendons pour vraiment donner les moyens de remédier à l’habitat dégradé. Voilà ce qui doit nous rassembler. »