Intervention de Thibault BAZIN – Discussion générale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026

Intervention de Thibault BAZIN – Discussion générale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026

4 novembre 2025 Hémicycle - santé PLFSS pour 2026 0

Retrouvez en vidéo mon intervention dans l’hémicycle lors de la discussion générale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.

« Madame la présidente,

Monsieur le président de la commission des affaires sociales,

Mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques,

Monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mes chers collègues,

L’exercice budgétaire auquel nous nous livrons cette année est hors norme.

Sur le plan politique d’abord, et comme l’année dernière, les circonstances ont conduit à ce que le projet de loi de financement de la sécurité sociale soit déposé à l’Assemblée nationale bien après l’expiration des délais organiques. Nommé deux jours avant le dépôt du texte, le nouveau Gouvernement n’a eu qu’un temps très réduit pour s’approprier un texte préparé par le précédent qui, de son aveu même, est imparfait et inabouti.

Hors norme, cet exercice devrait l’être également sur le plan procédural. Le Premier ministre a pris l’engagement solennel de renoncer à utiliser l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Cet engagement est à saluer : il répond à l’aspiration de nos concitoyens à plus de respect des délibérations parlementaires. Mais il oblige aussi le Gouvernement et tous les groupes politiques à un exercice exigeant : celui du débat parlementaire, du compromis et du dialogue.

Or que constatons-nous ?

Une commission saisie dans des délais très courts, sur la base d’un calendrier maintes fois modifié. Un temps très bref laissé aux députés pour discuter, négocier et bâtir des compromis.

Une lettre rectificative déposée à la hâte une semaine après le dépôt du PLFSS, pour intégrer un article 45 bis décalant le calendrier du report de l’âge de départ à la retraite, fruit d’une négociation bilatérale avec un seul groupe politique, au détriment de la transparence et du travail collectif.

Bref, alors qu’on nous promettait à l’envi « le temps le plus parlementaire de la Ve République », on a surtout vu s’installer celui de l’improvisation et de la précipitation.

Et pourtant, je tiens à le dire : la commission des affaires sociales a fait un travail sérieux et de bonne qualité.

Sous la présidence de Frédéric Valletoux, les débats ont été exigeants, denses, techniquement solides. Ils ont montré que le chemin du compromis était possible sur plusieurs sujets tout en mettant en lumière les points de désaccord profonds entre les différentes forces politiques. C’est la preuve qu’une autre manière de faire de la politique, plus constructive, plus respectueuse du Parlement, mais sans renoncement ni compromission, peut exister. Il faut s’en réjouir.

Mais venons-en au fond, car c’est le plus important.

La situation financière de la sécurité sociale est extrêmement préoccupante. Le déficit des régimes obligatoires de base atteindrait 23 milliards d’euros en 2025, soit 7,7 milliards de plus qu’en 2024.

La branche maladie, à elle seule, dérive dangereusement : – 17,2 milliards d’euros ! La branche vieillesse, elle, reste dans le rouge à – 5,8 milliards d’euros, FSV inclus, alors même que la réforme de 2023 continue (mais pour combien de temps ?) de monter en charge.

Et désormais, même les branches accidents du travail et maladies professionnelles et autonomie plongent dans le déficit.

Seule la branche famille demeure excédentaire… mais pour de mauvaises raisons. Car cet excédent traduit d’abord la baisse continue et inquiétante de la natalité, tombée à 1,62 enfant par femme, son plus bas niveau depuis trente ans. C’est une incise mais je le redis : le renouvellement des générations n’est pas un sujet secondaire. C’est la condition même de la pérennité de notre système social et de son financement, fondé sur la solidarité inter-générationnelle.

Face à ce constat, le Gouvernement présente un texte qu’il qualifie de volontariste.

Volontariste, il l’est, indéniablement, puisqu’il présente 11,1 milliards d’euros de mesures nouvelles, dont 9,1 milliards d’euros d’économies et 2 milliards d’euros de recettes nouvelles pour un déficit atteignant 17,5 milliards d’euros.

Mais ces mesures font pour une bonne partie l’unanimité contre elles. Sur les recettes, l’article 7 crée une contribution exceptionnelle sur les organismes complémentaires, dont le taux, initialement fixé à 2,05 % a dû être relevé à 2,25 % soit 1,1 milliard d’euros dont 100 millions d’euros ajoutés à la hâte pour financer le décalage de la réforme des retraites.

L’article 6 « au titre de l’année blanche » augmente la pression fiscale en gelant les seuils du revenu fiscal de référence pour l’application du barème de la CSG dont s’acquittent nos retraités.

L’article 8 réduit les niches sociales sur les compléments de salaire – titres-restaurant, chèques-vacances, chèques-emploi-service – pour un gain de 950 millions d’euros, et il assujettit au forfait social, à un taux de 40 %, les indemnités de rupture conventionnelle et de mise à la retraite.

Sur les dépenses au titre de « l’année blanche », la mesure la plus lourde et la plus significative est bien évidemment le gel de l’ensemble des prestations sociales et des pensions de retraite pour 2026 : 3,6 milliards d’euros d’économies dont 2,5 milliards sur les seuls régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.

À cela s’ajoute une trajectoire de sous-indexation des pensions jusqu’en 2030, dont l’ampleur a été renforcée de près de 1,4 milliard d’euros en 2027 pour financer le coût du décalage de la réforme des retraites consenti par le Gouvernement aux socialistes. Autrement dit, ce sont les retraités eux-mêmes qui auraient à payer le prix du compromis politique sur les mesures d’âge.

Enfin, la progression de l’Ondam serait limitée à 1,6 %, alors que sa croissance naturelle est estimée à 4,5 %. Cet écart colossal serait atteint par des économies portées par les assurés et les professionnels de santé. Le comité d’alerte évoque aujourd’hui des risques significatifs de dépassement pour 2026. Nous devons encore corriger ce budget.

L’augmentation par décret des franchises et participations à la charge des patients devrait à elle seule rapporter 2,3 milliards d’euros : mais suppose un effort disproportionné pour les plus fragiles. Oui à la responsabilité mais de manière plus ajustée.

En commission, nombre de ces dispositions ont été rejetées ou supprimées. Mais nous ne nous sommes pas limités à cela : nous avons proposé, amendé, construit. Je ne citerai que quelques exemples.

Nous avons adopté, sur mon initiative, le principe d’une expérimentation du versement des prestations non contributives selon un revenu social de référence, première étape vers une allocation sociale unique plus lisible, plus équitable et plus favorable au travail.

Nous avons proposé également d’ouvrir la possibilité de prendre le nouveau congé supplémentaire de naissance à temps partiel, pour mieux répondre aux besoins des familles.

L’honnêteté m’oblige à dire que nous avons également adopté certaines mesures auxquelles je n’étais pas favorable.

Je pense aux nombreuses taxes comportementales sur le sucre, les produits transformés, l’alcool, etc. On sait ce que ça donne : des prix plus chers à la vente, une moindre rémunération des producteurs en amont de la chaîne industrielle, un effet d’éviction vers les marchés moins conventionnels, tout ça pour des effets bien souvent mitigés sur les comportements que l’on cherche à réduire ! Il y a bien d’autres leviers à privilégier !

Je pense aussi, en particulier, à l’augmentation du taux de la CSG portant sur les revenus du capital, qui représente 2,7 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires qui, loin de ne toucher que les dividendes des « ultra-riches » (et j’insiste sur les guillemets), pèseront également sur la participation et les produits d’épargne de millions de Français : plans d’épargne logement, plans d’épargne populaire, et j’en passe. J’y suis opposé.

Malgré cela, et comme l’année dernière, la commission a rejeté le texte : l’article liminaire a été supprimé, puis les trois parties rejetées. C’est un signal fort envoyé au Gouvernement sur le fait que le texte qu’il a proposé ne serait pas le texte de l’Assemblée nationale.

Mais nous ne pouvons gouverner ni légiférer sur des signaux, et je dois dire que le fond du problème demeure : les déficits ne cessent de s’accumuler et la dette sociale s’aggrave chaque année un peu plus.

Certes, la Cades poursuit son œuvre de désendettement – il lui reste 137,9 milliards d’euros à amortir –, mais l’Acoss doit emprunter toujours plus, non seulement pour assurer les besoins de trésorerie des branches, mais également pour refinancer leur dette. Le PLFSS fixe donc son plafond de trésorerie pour 2026 à 83 milliards d’euros, un niveau record hors période de crise ! qui peut encore s’aggraver en fonction de la détérioration du déficit à venir.

C’est intenable.

Sans retour à une trajectoire de redressement, nous entrons dans une zone de plus en plus risquée… les déficits d’aujourd’hui seront de la dette de demain qui se traduira en taxes et cotisations après-demain.

Nous devons donc changer de cap. Sortir de la gestion à courte vue pour bâtir un pilotage pluriannuel appuyé sur une vraie vision stratégique de long‑terme. Nous devons repenser le cadre organique des lois de financement, qui enferme trop souvent le Parlement dans un choix binaire : taxer plus ou rogner davantage les dépenses.

Et surtout, nous devons retrouver le plein emploi et la valorisation du travail : c’est là, pas dans les taxes ni dans les gels, que se trouve la solution durable à nos déficits. Je regrette à ce titre profondément que le PLFSS ne soit pas le vecteur d’une vraie stratégie sur l’emploi, le marché du travail ou les transitions professionnelles.

Enfin, je veux insister sur un autre levier : la lutte contre la fraude sociale et fiscale. Ce combat n’est pas un totem idéologique : c’est une exigence de justice. Chaque euro fraudé est un euro volé à ceux qui travaillent et à ceux qui ont vraiment besoin de la solidarité nationale.

Nous débattrons bientôt d’un projet de loi spécifique sur ce sujet : c’est heureux. Mais compte tenu du caractère évolutif des pratiques et des comportements frauduleux, je souhaite que le cadre organique des lois de financement évolue pour permettre d’y intégrer pleinement ces mesures sans risque de censure par le Conseil constitutionnel, comme cela est encore trop souvent le cas.

Mes chers collègues,

Le redressement de la sécurité sociale est une « ardente obligation », pour reprendre les mots du général de Gaulle. Nous devons redonner confiance à nos concitoyens dans notre modèle social, en le rendant soutenable, lisible et efficace.

Et nous devons prouver, par notre travail collectif, que le Parlement peut être le lieu de la responsabilité : cela diffère des simples alliances de circonstance ou du rejet des torts sur les autres ; cela implique un effort qui a malheureusement cessé d’être naturel dans notre pays alors que toutes les démocraties fonctionnent ainsi.

Car sans budget ni loi de financement, c’est la stabilité économique et sociale de notre pays qui vacillerait – et, avec elle, la confiance dans nos institutions. »

 

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