Intervention du député Thibault BAZIN – Rapport d’application de la mise en œuvre de la loi ELAN
« Le deuxième volet de la loi ELAN concerne le logement social. Les dispositions des titres II et III de la loi visaient à accompagner la restructuration et le changement de modèle économique du secteur HLM grâce à deux mesures: l’obligation de regroupement des bailleurs sociaux et la facilitation des ventes HLM.
Dans ce domaine, la publication des décrets d’application accuse un certain retard : six mois après, seulement 11 décrets sur les 40 prévus ont été publiés.
La publication du décret définissant les clauses types des sociétés anonymes de coordination (SAC) se fait, par exemple, encore attendre alors qu’il est d’une importance majeure pour la restructuration du secteur HLM. Ce décret devra notamment définir les règles de gouvernance de ces sociétés et les conditions de leur agrément par le ministre chargé du logement. Nous espérons que ce décret particulièrement complexe sera publié le plus rapidement possible afin qu’aucun retard ne soit pris dans le mouvement de regroupement des bailleurs sociaux, à l’approche des élections municipales.
Le retard dans la publication d’un autre décret, celui relatif aux nouvelles conventions d’utilité sociale (CUS), crée aussi de nombreux problèmes sur le terrain pour les organismes HLM car il rend impossible le respect de l’obligation, fixé par la loi ELAN, de déposer un projet de CUS d’ici le 1er juillet 2019.
Il en est de même concernant les décrets définissant les clauses types des sociétés de ventes d’HLM et les modalités de mise en vente des logements sociaux vacants qui n’ont malheureusement pas encore été publiés. Ce retard est d’autant plus regrettable qu’Action Logement Groupe a d’ores et déjà lancé, le 18 février dernier, son opérateur national de vente. L’activité de cet opérateur est pour l’instant bloquée, faute de statut juridique et d’agrément de l’Etat.
Afin de faciliter le développement de la vente HLM, l’ordonnance du 7 mai 2019 donne, en revanche, une nouvelle souplesse aux bailleurs sociaux. Cette ordonnance, prise sur le fondement de l’article 88 de la loi ELAN, autorise les bailleurs sociaux à différer la mise sous copropriété d’un immeuble partiellement vendu, dont ils pourront encore gérer les parties communes pendant un délai maximal de 10 ans. Cette possibilité devrait permettre de prévenir la création de copropriétés dégradées, tout en laissant suffisamment de temps aux nouveaux acquéreurs pour se familiariser avec le régime juridique de la copropriété. D’après l’Union sociale pour l’habitat, certains bailleurs se seraient déclarés intéressés par cet outil.
Deux autres ordonnances, publiées le 15 mai 2019, donnent également plus de souplesse aux organismes HLM dans la fixation de leurs loyers afin qu’ils puissent mieux prendre en compte la capacité financière de leurs locataires. La première ordonnance autorise ainsi les bailleurs sociaux à mettre en place, à titre expérimental et pendant cinq ans, une politique des loyers dérogatoire permettant de décorréler le montant du loyer du mode de financement initial de chaque logement. D’après le Gouvernement, cet outil devrait faciliter l’application du plan « Logement d’abord » et le respect des obligations de mixité sociale prévues par la loi égalité et citoyenneté. Les bailleurs sociaux que nous avons auditionnés se sont félicités de la simplicité de cette expérimentation. La seconde ordonnance, elle, prévoit de plafonner le supplément de loyer de solidarité (SLS) dans une situation très spécifique : la transformation de logements existants en logements HLM qui peut conduire, dans certains cas, à l’application aux locataires en place d’un loyer supérieur à ceux du marché.
En dépit des multiples retards observés dans la publication de certains décrets d’application, le secteur HLM semble malgré tout s’être pleinement engagé dans la restructuration initiée par la loi ELAN. En effet, d’après le ministère du logement, 75 % des bailleurs sociaux ont engagé l’étude d’un projet de rapprochement avec d’autres bailleurs sociaux et une dynamique semble s’être enclenchée en matière de vente HLM. Entre 2018 et 2017, les ventes ont progressé de 14 % et le premier appel à manifestation d’intérêt de l’ONV d’Action Logement a suscité 71 réponses de bailleurs correspondants à la mise en vente de 11 000 logements.
J’en viens maintenant à la dernière partie de notre bilan, consacré à la mise en application des dispositions de la loi ELAN relatives au parc privé de logement et aux centres-villes. Dans ce domaine, de très nombreuses mesures étaient d’application immédiate, comme la création du bail mobilité ou le renforcement des sanctions pénales contre les marchands de sommeil. Une circulaire du 8 février 2019, co-signée par la garde des Sceaux et le ministre du logement, a prévu la mise en place de groupes locaux de traitement de la délinquance dédiés à la lutte contre l’habitat indigne afin d’accompagner la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions. Il est toutefois bien trop tôt pour en dresser un quelconque bilan.
Il en est de même pour l’expérimentation relative à l’encadrement des loyers dans certaines agglomérations volontaires. Les décrets permettant de lancer cette expérimentation ont été publiés et une seule ville, Paris, l’appliquera au 1er juillet prochain. D’autres intercommunalités, comme l’EPT Plaine Commune en Saint-Saint-Denis et la métropole européenne de Lille, ont déposé leurs candidatures, sans que la recevabilité de celles-ci n’ait encore été appréciée par le Gouvernement.
Dans le domaine de la copropriété, deux décrets d’application sur trois ont été publiés mais l’essentiel de la réforme sera contenue dans l’ordonnance prévue par l’article 215 de la loi ELAN. Issue d’un long travail de concertation mené par le ministère de la Justice, cette ordonnance doit être publiée avant le 23 novembre prochain. Elle devrait permettre de rendre effectif la mise en concurrence régulière des syndics de copropriété et élargir les pouvoirs du conseil syndical. Les modalités de concertation pour cette ordonnance semblent avoir globablement satisfaits les acteurs du secteur, grâce notamment à la réforme du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI).
Je souhaiterais terminer en évoquant un sujet qui nous est cher : la revitalisation des centres-villes. Dans ce domaine, la loi ELAN a accompagné la mise en œuvre du programme « Action Cœur de ville » par la création des opérations de revitalisation de territoire (ORT) et la réforme de certaines règles relatives à l’aménagement commercial. Si le programme « Action Cœur de ville » semble être bien lancé, avec 4 000 actions déjà engagées et 350 millions d’euros mobilisés, la transformation des conventions-cadres en conventions ORT n’en est qu’à ses débuts. En effet, à ce jour, seulement 8 conventions d’ORT ont été signées à Saint-Dié, Dieppe, Louviers, Vernon, Evreux, Argentan, Saint-Omer et Cahors. 334 autres communes se sont engagées dans le processus.
Or, ce n’est qu’avec la signature des conventions ORT, que ces centres-villes pourront bénéficier des outils juridiques prévus par la loi ELAN, comme l’instauration d’un droit de préemption renforcé ou l’exonération d’autorisation d’exploitation commerciale (AEC). Si un effort de communication a déjà été lancé au sujet de ce programme, nous pensons qu’il doit se poursuivre et s’amplifier pour maintenir une dynamique sur le long terme. Certaines complexités devraient, par ailleurs, encore être éclaircies, comme l’articulation entre les ORT et les dispositifs d’intervention préexistants dans certains territoires, comme les OPAH-RU. Enfin, le décret permettant au préfet de suspendre au cas par cas les projets d’implantation commerciale en périphérie doit encore être publié à la suite de la consultation de la Commission européenne.
Madame la Présidente, mes chers collègues, vous le voyez, malgré quelques retards par rapport aux objectifs initiaux, la mise en application de la loi ELAN est en bonne voie. Nous ne sommes cependant qu’à mi-chemin et je pense qu’un nouveau bilan dans six mois pourrait être réalisé pour s’assurer que l’intégralité de la loi est appliquée et pour analyser les quelques ordonnances majeures qui seront publiés dans les prochains mois.
En tout état de cause, la publication des décrets et des ordonnances n’est qu’une première étape dans la mise en œuvre de cette loi, qui nécessite encore un effort de pédagogie important afin que tous les acteurs locaux s’approprient les nouveaux outils qu’elle offre.
Je vous remercie pour votre attention et nous nous tenons à votre écoute pour vos remarques et questions éventuelles. »