Intervention à l’occasion de l’audition de Madame Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament

Intervention à l’occasion de l’audition de Madame Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament

2 décembre 2020 Commission - santé 0

« Madame la présidente,

Mes chers collègues,

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil

Notre commission est appelée ce matin à se prononcer sur votre nomination à la tête de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il s’agit d’un moment important, au vu du rôle essentiel qu’est amené à jouer cette Agence en termes d’accès aux produits de santé et de garantie de leur sécurité, plus particulièrement dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. Alors que vous êtes entrée à l’ANSM il y a près de 18 ans, même si vous avez depuis exercé d’autres fonctions, et que vous êtes directrice générale adjointe de l’agence depuis 2016, je ne doute pas Madame, que vous pourrez nous éclairer précisément sur les différentes questions que nous souhaitons vous poser ce matin.

Se substituant à l’ancienne Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSAPPS), l’ANSM a été créée par la loi du 29 décembre 2011 à la suite de l’affaire dite « du Médiator », l’un des plus grands scandales sanitaires que nous ayons connus.  Le principal objet de la création de cette nouvelle structure était, ainsi que l’agence l’a elle-même rappelé dans un communiqué du 19 novembre 2019 « de renforcer la sécurité sanitaire afin qu’une telle affaire ne puisse se reproduire. » Alors que l’ANSM a annoncé le 9 novembre être mise en examen pour homicides involontaires dans l’affaire liée au médicament Dépakine, quelques mois seulement après la comparution de l’agence devant le tribunal correctionnel de Paris dans le cadre de l’affaire du Médiator, je ne peux commencer cette audition sans vous interroger sur ce sujet. Je le rappelle, le valproate de sodium, molécule commercialisée depuis 1967 sous la marque Dépakine, mais aussi sous d’autres marques génériques est prescrite aux personnes souffrant de troubles bipolaires. Cette molécule présente néanmoins un risque élevé de malformations congénitales sur le fœtus si elle est prise par une femme enceinte. Le nombre d’enfants handicapés à cause de la prise par leur mère de ce médicament est ainsi estimé entre 15 000 et 30 000 selon les études. Je souhaiterais ainsi vous poser la question suivante : au regard de cette affaire, a-t-on réellement progressé en termes de prévention des risques sanitaires depuis le scandale du Médiator et la création de l’ANSM par la loi de 2011, à la rédaction de laquelle vous avez été pleinement associée ? Comment expliquer, malgré les nombreuses prérogatives de l’Agence en termes d’évaluation, de surveillance et de contrôle des produits de santé, que des patientes aient pu être largement exposées à ce traitement, malgré des risques largement documentés, avec des investigations allant de 1990 à 2015 ? Surtout, quelles mesures ont été prises pour assurer pleinement la sécurité des usagers du système de santé et éviter à l’avenir la répétition de ce type de scandales?

 Je souhaiterais ensuite vous interroger sur la problématique de la rupture de stocks de médicaments qui fait l’objet d’une préoccupation croissante et pour laquelle l’ANSM est amenée à jouer un rôle essentiel. Selon le dernier rapport d’activité de l’Agence, la hausse des signalements de risques et ruptures de stocks de médicaments a atteint un nouveau record en 2019, avec 1 509 signalements, soit un bond de 72 % par rapport à 2018. Le nombre de ruptures de stock de médicaments devrait par ailleurs connaître une évolution exponentielle en 2020, dans le contexte particulier de l’épidémie de Covid-19. L’UFC que Choisir, reprenant vos chiffres, indique ainsi que 2 400 ruptures de médicaments devraient être constatées en 2020. Cette situation est d’autant plus alarmante que les pénuries concernent des médicaments dits « d’intérêt thérapeutique majeur », c’est-à-dire pour lesquels une interruption de traitement peut mettre en danger le pronostic vital des patients. Dans ce contexte, quelles mesures préconisez-vous pour limiter autant que possible ces ruptures de stocks ? Alors qu’en 2019, seules deux sanctions ont été prononcées par l’ANSM pour rupture de stocks contre des laboratoires, ne faudrait-il pas renforcer bien davantage les contraintes et les sanctions s’appliquant aux laboratoires ?  L’épidémie de Covid-19 a par ailleurs généré de très fortes tensions sur certains médicaments, et particulièrement pour les médicaments utilisés pour les soins de réanimation. En mars, la demande mondiale pour plusieurs molécules, notamment les médicaments de la catégorie des curares et des hypnotiques a très fortement augmenté, dans certains cas de 2 000 %. Comment éviter à l’avenir de se trouver dans des situations de pénurie en médicaments essentiels ? La solution pourrait-elle être de développer plus largement nos capacités de production nationale de médicaments ?

Je ne peux manquer de vous interroger sur votre rôle dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.  Alors que l’ANSM est compétente pour délivrer les autorisations d’essais cliniques, pourriez-vous tout d’abord nous dresser un état des lieux des médicaments faisant aujourd’hui l’objet d’essais dans le cadre de la recherche d’un traitement contre la Covid-19 et si certains peuvent susciter un espoir légitime ? S’agissant de l’hydroxychloroquine, l’ANSM a fait savoir le 23 octobre, qu’elle avait rejeté une demande de recommandation temporaire d’utilisation pour cette molécule dans le traitement de la Covid-19, déposée par l’IHU de Marseille en août. Alors que cette décision surprenante a été largement contestée, peut-on aujourd’hui considérer que la liberté de prescription des médecins est véritablement respectée ? Je souhaiterais enfin vous questionner sur la mise en place d’une campagne de vaccination contre la Covid-19 dans les mois prochains. Alors que le Président de la République a annoncé la semaine dernière que les premiers vaccins seront disponibles dès la fin de l’année et que les premiers vaccins pourraient être administrés fin décembre-début janvier, le respect d’une telle temporalité vous parait-il réaliste ? Quel sera précisément votre rôle, en comparaison notamment de celui de l’Agence européenne du médicament, dans la procédure de validation et de déploiement du vaccin ? Est-il possible de s’assurer de la sûreté de ce vaccin dans des délais si restreints ? Un sondage Ipsos conduit dans 15 pays début octobre place les Français au premier rang des réticents à la vaccination contre la Covid et indique qu’environ un Français sur deux envisage de ne pas se faire vacciner. Comment pourrait-on dès lors convaincre nos concitoyens du bien- fondé de la vaccination et surtout, renforcer leur confiance envers ce nouveau produit ? Nos concitoyens se posent en effet des questions légitimes sur les conditions d’évaluation de ce vaccin, en particulier dans un délai si court.

D’autre part, je voudrais vous interroger sur la démission, à sa demande, de M. Dominique Martin. Peut-on savoir si cette démission est liée aux diverses enquêtes en cours ou à des conflits internes ? Envisagez-vous d’assurer la direction dans la continuité ou avec des changements ?

Il est souvent reproché à l’ANSM son manque de transparence et d’autonomie. Considérez-vous cet organisme comme suffisamment autonome quand il faut « prendre des coups » et sous tutelle ministérielle via la DGS quand il faut « fixer le cap » ?

L’ANSM, peut-être du fait des évènements liés à sa création, est considérée comme très focalisé sur le risque, ce qui entraîne des délais d’autorisation trop longs qui entravent les essais cliniques ainsi que le volet innovation. Pensez-vous pouvoir améliorer cet état de fait ?

Au niveau Européen, la France apparait moins « rapporteur » que les autres pays. D’autres agences donnent plus le tempo, je pense notamment aux agences allemandes et anglaise avant le Brexit. Avez-vous l’intention de redresser la barre sur ce point ?

Alors que les autorisations se feront de plus en plus au niveau européen, quelles actions comptez-vous entreprendre pour donner les moyens à l’ANSM de devenir une agence « leader » ? L’ANSM aura-t-elle une stratégie européenne » ?

L’agence est responsable aussi des produits de santé (organes, tissus, sang…), je viens vous demander quelles relations vous envisagez avec l’EFS ?

Quelles seront également vos points de vigilance s’agissant des dispositifs médicaux ?

Enfin, j’ai été interpellé en tant que député par des personnes qui considéraient que leurs maladies seraient mieux prises en compte et traitées en Allemagne. Il s’agit de la maladie de Lyme d’une part et des soins à pratiquer pour des patientes atteintes de cancer du sein triple négatif ou triple positif, des femmes jeunes pour lesquels les traitements de chimiothérapie ont échoué et qui m’ont parlé de thérapie ciblée en Allemagne. Pouvez-vous m’éclairer sur ces deux points ?

Je vous remercie d’avance Madame, de bien vouloir répondre à l’ensemble de nos interrogations. La précision des réponses que vous y apporterez sera évidemment déterminante pour le vote de notre commission.

Je vous remercie. »

Réponse de Madame Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament :

 

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