Intervention – Examen en nouvelle lecture du PLFSS pour 2025
Retrouvez ci-dessous la vidéo de mon intervention lors de l’examen en nouvelle lecture du PLFSS pour 2025.
« Madame la présidente, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le président de la commission des affaires sociales,
Mesdames et Messieurs les rapporteurs thématiques,
Mes chers collègues,
Je promets d’être bref sur les questions de procédure, mais elles sont au cœur du moment politique grave que vit notre pays.
Rien dans l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 n’aura été banal :
Une préparation par le Gouvernement de Gabriel Attal, entravée par la dissolution malvenue imposée par Président de la République.
Une reprise en main courageuse mais nécessairement imparfaite par l’équipe de Michel Barnier qui n’aura eu que quelques jours pour se l’approprier.
Un dépôt excédant le terme donné par la loi organique.
Une transmission au Sénat au terme de l’examen inachevé par l’Assemblée nationale dans les vingt jours que la Constitution lui donne en première lecture.
Une commission mixte paritaire conclusive pour la première fois depuis quatorze ans.
Puis une motion de censure adoptée consécutivement à l’engagement de la responsabilité du Premier ministre comme cela ne s’était pas vu depuis soixante-deux ans et privant la France d’un budget adopté avant la fin de l’année.
Une loi spéciale adoptée in extremis en fin d’année comprenant une autorisation pour plusieurs organismes de sécurité sociale de recourir à l’emprunt pour éviter toute rupture dans le paiement des prestations.
Des mesures qui « tombent à l’eau » compte tenu d’une absence de promulgation avant le 31 décembre 2024 – et j’oublie volontairement des subtilités !
Espérons que nous mettions prochainement fin à ce feuilleton budgétaire un peu chaotique qui aura vraiment inquiété les Français et leur aura été extrêmement néfaste. Parler de facture de la censure, c’est dire la vérité sur le manque de considération pour l’amélioration des droits des assurés et le renforcement de l’économie de la part de certaines formations politiques, coalisées dans l’irresponsabilité.
Rendez-vous compte :
– les entreprises et leurs salariés sont, depuis la censure, dans le flou le plus complet quant au calcul des cotisations à l’entrée de l’échelle des salaires ;
– les difficultés perdurent dans certains secteurs comme l’emploi saisonnier agricole ou la distribution de médicaments sur le territoire ;
– des semaines entières sont perdues pour le parcours de soins gynécologiques, la maîtrise des stocks de médicaments, les impasses financières des maison de retraite, etc.
Résultat de cette instabilité politique doublée de ces incertitudes budgétaires : des investissements publics et privés en pause, des embauches gelées, des projets reportés… Cela aboutit à une dégradation de la croissance et donc une baisse des recettes de la sécurité sociale.
Cela étant dit, des choses positives sont intervenues aussi dans les dernières semaines et dans les derniers jours.
D’abord, non seulement le fil entre le Gouvernement et les groupes parlementaires qui acceptent le dialogue ne s’est pas rompu, mais chez les uns et les autres on a senti que la nécessité absolue d’enfin doter la sécurité sociale – comme du reste l’État – d’un budget faisait renaître la bonne volonté de chercher des solutions avec réalisme et pragmatisme.
C’est ainsi que le Premier ministre et plusieurs de ses ministres ont pris des engagements vis-à-vis de mesures qui, pour avoir une incidence sur les chiffres de la loi de financement de la sécurité sociale, ne sont pas dans son texte stricto sensu :
– le lissage sur quatre ans au lieu de trois de la hausse des cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, dont relève une partie des personnels des établissements de santé, a été confirmé dans un décret publié vendredi dernier ;
– cette charge pour les employeurs hospitaliers sera bien neutralisée et l’amendement du Gouvernement y procède avec une hausse de 3,8% du sous‑Ondam concerné, au lieu de 3,1% et de 3,4% concernant l’objectif total, contre 2,8% au dépôt du PLFSS ;
– le taux du ticket modérateur sur les consultations chez le médecin généraliste ou la sage-femme n’augmentera pas, de même que celui sur les médicaments.
Ensuite, la commission des affaires sociales a beaucoup et, avant le rejet final du texte, bien travaillé. Je remercie d’ailleurs son président, cher Frédéric, qui a conduit les débats avec clarté et respect. Je veux le croire, cela traduit la volonté d’une majorité de députés issus de bancs divers d’envoyer un signal politique empreint de responsabilité et de sérieux plutôt que la persistance de certains dans une attitude mettant la sécurité sociale en péril.
Pour l’essentiel, je me suis efforcé de tendre en commission vers le retour aux équilibres trouvés lors de la CMP et d’éviter de nouveaux « irritants ».
Chacun sait qu’il ne correspond pas exactement à ce qu’à titre personnel j’aurais choisi sur tel ou tel sujet, mais je suis respectueux d’un accord qui avait été élaboré d’une façon tout à fait régulière, avec le triple souci des avancées pour nos compatriotes, de la pleine considération envers les nuances politiques représentées au Parlement et du sérieux budgétaire.
Mais cette ligne comprend des exceptions, la plus notable étant l’impossibilité pour certains articles de s’appliquer, tout court ou tels quels, au regard de ce que notre droit permet ou empêche en termes de rétroactivité. Il en va ainsi du décalage des articles relatifs à la contribution patronale sur les actions gratuites, aux exonérations pour les contrats d’apprentissage et les jeunes entreprises innovantes ou encore, surtout, de l’abandon pur et simple de celui sur la revalorisation différenciée des pensions de retraite de base.
Voilà pour les enjeux institutionnels ; c’est mon rôle.
J’en viens à des considérations plus politiques ; c’est aussi mon rôle.
En premier lieu, avoir été fidèle à l’esprit de la CMP ne retire pas mon sentiment sur ce que l’on appelle la fiscalité comportementale. Bien sûr que le tabac, les jeux d’argent et de hasard ou les boissons trop sucrées ne sont pas des produits parfaits, que chacun doit se prendre en main pour en modérer sa consommation ou en quitter son addiction et qu’il est utile que la puissance publique informe en toute transparence des enjeux de santé qu’il y a derrière – et notre hémicycle comprend de nombreux spécialistes du cancer.
Mais Mesdames et Messieurs les ministres, je vous le dis, je n’ai pas envie de vivre dans un pays où l’on taxe à tour de bras chaque année davantage le vin, puis un jour le chocolat et ensuite, quoi, le fromage ? et, encore après, les madeleines de Liverdun ? ou les bergamotes de Nancy ? Ne soyons pas sourds à ce que nous disent nos concitoyens : il y a d’autres méthodes à explorer que toujours taxer davantage et, surtout, faire reposer le coût sur les consommateurs les plus modestes.
Attention au raz-le-bol fiscal ! La méthode des rabots sans discernement est à proscrire. J’ai essayé comme rapporteur général d’éviter toute nouvelle taxe et de préserver la filière sportive. Car le sport, c’est aussi la santé !
En deuxième lieu, nous nous apprêtons – en tout cas ce « nous » comprend le socle commun – à adopter une loi de financement parce qu’il en faut une pour fixer les tarifs dans les établissements et pour permettre à l’Acoss de se présenter beaucoup plus sereinement devant ses prêteurs, non pour leur faire plaisir, chers collègues, mais pour verser aux assurés les allocations familiales, les prestations d’invalidité ou les indemnités journalières auxquelles ils ont droit et pour lesquelles ils ont cotisé. Car c’est bien de cela dont il s’agit d’assurer le financement.
Néanmoins, le texte que nous allons adopter ne règle aucun des problèmes structurels de nos comptes publics et de nos comptes sociaux en particulier. La trajectoire des prochaines années demeure inquiétante sans perspective d’améliorations. La dégradation des déficits sociaux en 2025 doit nous préoccuper même si ce déficit aggravé par rapport à 2024 seraitpire en l’absence d’adoption de ce budget de la sécurité sociale. Les déficits s’accumulant, il faudra s’atteler d’ici l’année prochaine à la situation de la dette sociale et de la Cades.
L’avis qu’a publié au milieu de la semaine dernière le Haut Conseil des finances publiques sur la révision des hypothèses de conjonctures sous-jacentes aux textes financiers rappelle qu’en 2024 le déficit s’est dégradé pour la deuxième année consécutive. Alors qu’il faut absolument éviter que tel soit le cas en 2025, le Haut Conseil « estime que la prévision de croissance du PIB pour 2025 (+ 0,9 %), supérieure à celle du consensus des économistes (+ 0,7 %), est atteignable mais un peu optimiste au vu des indicateurs […] les plus récents » et que « la prévision de masse salariale […] est un peu optimiste pour 2024 (+ 3,0 %) […] et pour 2025 (+2,5 %) […] ».
La copie sur la table « offre peu de marges de sécurité » et repose sur des leviers qui, toujours selon la formule du Haut Conseil, sont « peu documentés ».
« Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites », aurait dit Molière.
Cependant, Mesdames et Messieurs les ministres, je ne vais pas vous demander de bon mot supplémentaire, mais des réponses précises et des engagements fermes.
Je vous prie, la représentation nationale vous prie, d’indiquer très clairement ce qu’il en est sur les points suivants :
– quelle est la raison, quel est le montant, quelle est la solution du dérapage de l’Ondam pour 2024 lié à un mauvais calcul des remises ?
– pourquoi affichez-vous un déficit de 22 milliards d’euros pour les régimes obligatoires alors qu’il aurait été plus réaliste d’annoncer 25 milliards d’euros… quitte à avoir une bonne surprise plus tard ?
– quel est le détail (ne faites pas semblant de ne pas entendre ce mot) des 1,9 milliard d’euros et des 600 millions d’euros d’économies que vous envisagez sur le volume et le prix des médicaments remboursés ?
– quelle est la nature réelle de l’astuce comptable qui permet de dire que la baisse de 4,5 % dont tout le monde a pu prendre connaissance sur le sous-Ondam relatif au fonds d’intervention régional et à d’autres mécanismes d’investissements ne serait en fait pas une baisse ?
– quelles sont les perspectives pour réduire la voilure dans les subventions de fonctionnement aux opérateurs de la branche maladie qui bien souvent se chevauchent entre eux ou avec ceux de l’État ?
– nombre de bonnes idées ont été intégrées au PLFSS en matière de lutte contre la fraude ; faites-vous le serment de mettre les services sous tension ? C’est une demande très forte et légitime des Français.
J’insiste : nous voulons des explications détaillées et sincères.
Pour ma part, je prends date : face au risque d’une poursuite de la dérive budgétaire qui fragilise considérablement notre modèle social et notre République, mon alerte et ma vigilance seront constantes.
Soyez assurés que notre commission, et singulièrement ses membres qui comme moi se sont vus attribuer des pouvoirs spéciaux par la loi organique, sommes déterminés à demander très régulièrement aux administrations sous votre autorité et aux caisses sous votre tutelle des points d’étape sur l’application des décisions du Parlement, sur la mise en œuvre des annonces d’ordre réglementaire qui si souvent sont inscrites dans des tableaux pour justifier des économies mais dont on n’a moins fréquemment vu la trace ou encore sur le respect des trajectoires moult fois promises et jamais tenues.
Quelle terrible épreuve pour moi qui suis gaulliste de constater que des pays pour lesquels j’ai la plus grande amitié mais dont la force de l’État et le poids de l’économie ne sont tout de même pas comparables à la France n’ont aucune difficulté à consolider leurs finances publiques !
Croyez-moi bien : je souhaite le rebond de la confiance, mais mon inquiétude me rend exigeant. Budget à suivre donc… j’y veillerai. Nous y veillerons. Comptez sur moi ! Comptez sur nous !
Je vous remercie. »