Communiqué de presse – Proposition de loi relative à la fin de vie
Ce mardi 27 mai, Thibault Bazin a voté contre la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir. A contrariode la nouvelle anthropologie que promeut ce texte, il tient à réaffirmer l’inviolabilité de la personne humaine dont la dignité est consubstantielle. Il appelle à faire primer une éthique du soin et de la vulnérabilité, considérant ce qu’écrivait récemment le Conseil Consultatif National d’Ethique dans son avis n°139 : « On meurt mal en France [… il convient de] [s’]interroger sur les racines de ce mal et les moyens humains à développer […], plutôt qu’à envisager une évolution législative ».
Quelle est ainsi l’opportunité d’une légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie quand à peine 50% des Français nécessitant des soins palliatifs y ont accès ? Dans un contexte de crise multidimensionnelle qui ne peut qu’obliger à se demander si ce texte n’apportera pas à terme une réponse rentable à l’abysse budgétaire français ? Quand n’est toujours pas connue et appliquée la loi « Claeys-Leonetti » qui interdit l’obstination déraisonnable et permet la sédation profonde et continue ?
Comment arguer que ce texte est attendu d’une majorité des Français quand ceux-ci, ayant perdu confiance dans le système de santé et ne connaissant pas les soins palliatifs, se voient soumettre un choix manichéen et simpliste entre souffrance et mort ? Cette alternative omet sciemment la possibilité palliative : une voie de solidarité vraie et vécue, d’humilité, une voie qui prend soin de toutes les souffrances sans condition aucune.
Ce texte doit assumer qu’il propose une « rupture anthropologique majeure » (Jean Leonetti). Ne signe-t-il pas un désengagement inédit de l’Etat, censé être « Providence », vis-à-vis du plus fragile ? Demain, certains ne pourraient-ils ressentir ce texte comme une incitation à mourir, à questionner la valeur de leur vie ?
Il ne s’agit pas de nier la demande de mort, car elle existe et est légitime, mais de questionner la réponse que nous voulons collectivement apporter. La demande de mort n’est-elle pas en réalité une demande de vie, un appel à l’aide sachant que seules 0,3% des 3% des demandes de mort à l’entrée en soins palliatifs persistent après quelques jours de prise en charge ? On oublie trop souvent que la loi française impose déjà au soignant de soulager « coûte que coûte ».
Quel devenir pour notre éthique collective fondée sur la primauté de la vie qui donne tout son sens à la prévention du suicide ou à la réanimation ? Quel devenir pour le contrat de confiance thérapeutique, déjà très fragilisé, qui lie soigné et soignant ? L’implication de ce dernier n’est-elle pas profondément contraire à sa vocation et à l’acte de soin ? L’expérience canadienne est éclairante : seuls 1,9% des 70 % de médecins originellement favorables à la loi acceptent de pratiquer une euthanasie aujourd’hui.
Concrètement, ce texte est très éloigné de sa promesse originelle d’une législation « strictement encadrée » : presque pas de possibilité de recours ; création d’un délit d’entrave questionnant notre politique de prévention du suicide ainsi que tout un pan du rôle d’accompagnement des proches et des professionnels de santé ; pas de véritable collégialité de la décision médicale ; une clause de conscience partielle pour les médecins et infirmiers, et même absente pour certains professionnels de santé comme les pharmaciens, pourtant préparateurs de la substance létale ; des délais de réflexion indécents ; pas de contrôle indépendant effectué a priori ; des conditions d’accès floues qui, prises cumulativement, sont très permissives : un malade en phase avancée d’une maladie « grave et incurable », avec « souffrances psychologiques insupportables », soit des centaines de milliers de nos concitoyens, sont « éligibles ». Concernant les personnes protégées, par définition vulnérables et au discernement altéré, le texte ne prévoit ni saisie automatique du juge pour avis ni de possibilité d’émettre un recours pour la personne chargée de la mesure de protection.
A l’étranger, les chiffres dévoilent une réalité glaçante : le nombre d’euthanasies et de suicides assistés va croissant et ce sont les plus pauvres, les plus fragiles et les plus isolés qui y ont majoritairement recours (45% des morts par suicide assisté en Oregon se disaient être « un poids »).
En réalité, une fois le droit instauré, même initialement circonscrit, il s’élargit progressivement eu égard à la force des principes d’égalité et de liberté individuelle : « faudra-t-il discriminer les patients, en catégorisant ceux qui entreraient dans le cadre légal d’une demande d’euthanasie et ceux qui ne rempliraient pas les conditions ? »(Avis éthique interprofessionnel, SFAP, 16 février 2023).
« L’ultime recours » est une illusion. Lever l’interdit de tuer, c’est renverser notre socle commun de valeurs. Ce texte est une loi d’autodétermination : il ne se limite pas à répondre à ceux qui vont mourir dans les prochains jours, mais à ceux qui veulent mourir, sans pronostic engagé à court terme.
Où seront la liberté, l’égalité et la fraternité quand certains malades n’auront le choix qu’entre la souffrance et la mort ? Quand on les classera selon l’utilité présumée de leur vie ? Quand la société ne sera plus obligée par la promesse de non-abandon ?
Le risque est grand que le texte sur les soins palliatifs soit en-deçà des besoins réels quand celui sur l’euthanasie et le suicide assisté serait très au-delà de la promesse initiale.