Examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024

Examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024

11 juin 2025 Hémicycle - santé 0

Retrouvez mon intervention à la tribune de l’hémicycle lors de l’examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024.

« Monsieur le Président,

Mesdames les ministres,

Monsieur le président de la commission,

Monsieur le rapporteur pour avis,

Mes chers collègues,

Alors que se poursuit aujourd’hui et demain le printemps de l’évaluation, nous nous réunissons pour examiner le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) de l’année 2024. Cette nouvelle catégorie de texte, issue des travaux conduits par notre ancien collègue Thomas Mesnier, vise à conférer un caractère plus solennel à notre mission de contrôle de l’application des lois de financement de la sécurité sociale en permettant de consacrer, au Printemps, un temps spécifique à l’exécution des comptes sociaux de l’année passée.

Permettez-moi un mot préalable de méthode, qui n’est pas dénué de portée politique. Je prends la parole en tant que rapporteur général, bien que je n’aie ni contribué à la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, ni soutenu les gouvernements responsables de son exécution jusqu’à la dissolution. Cela étant dit, je tiens à souligner l’importance du respect de notre cadre organique et à rappeler que les chiffres présentés, qu’ils soient flatteurs ou préoccupants, sont ceux de la réalité. Et il est de notre devoir de les analyser objectivement.

Sur le champ des administrations de sécurité sociale (Asso), plus large que celui des régimes de base, l’article liminaire présente un équilibre apparent de 0 point de PIB. En valeur, cela correspond à un léger excédent : 1,3 milliard d’euros selon les données initiales, porté à 2,3 milliards après révision par l’Insee. Cette légère augmentation correspond à un ajustement lié au dynamisme des recettes, en particulier des régimes complémentaires et de l’Unédic.

L’article 1er, relatif aux régimes obligatoires de base (Robss), fait apparaître un déficit de 16,5 milliards d’euros, ramené à 15,3 milliards si l’on tient compte de l’excédent du Fond de solidarité vieillesse (FSV). Ce solde constitue une nette dégradation par rapport à l’année 2023, où le déficit était de 10,8 milliards d’euros et un écart majeur à la prévision initiale de la LFSS pour 2024, qui anticipait un déficit à 10,5 milliards d’euros. Les branches maladie et vieillesse concentrent les déficits, à hauteur de 13,8 et 5,6 milliards d’euros respectivement.

Ces chiffres marquent sans ambiguïté la fin de l’amélioration consécutive à la sortie de la crise sanitaire, qui avait été tirée par un rebond de l’activité économique et la fin progressive des dispositifs exceptionnels. Désormais, en dehors de toute crise conjoncturelle aiguë, les comptes sociaux se détériorent. Et ils se détériorent fortement. Cette évolution doit nous questionner profondément.

Les recettes ont été manifestement surestimées par rapport aux prévisions initiales, ce qui témoigne, selon les uns, d’un excès d’optimisme ou, selon les autres, de prévisions techniques défaillantes. Côté dépenses, les dynamiques observées confirment l’insuffisance des mesures de régulation. La Cour des comptes l’a souligné à plusieurs reprises : dans le champ de l’Ondam près de 25 % des économies initiales – prévues à hauteur de 4,4 milliards d’euros – n’ont pas été réalisées soit environ 0,7 à 1,1 milliard d’euros ; s’agissant de la branche vieillesse, la revalorisation automatique de 5,3 % au 1er janvier 2024 explique à elle‑seule les trois‑quarts de l’évolution des de prestations de retraite. Par an, cela représente ainsi 13,8 milliards d’euros sur les 18 milliards de dépenses supplémentaires de la branche. Ces chiffres sont préoccupants pour la soutenabilité de nos finances sociales.

L’Ondam, qui fait l’objet de l’article 2, est ce dispositif de la sécurité sociale en France qui fixe des objectifs de certaines dépenses des branches « assurance maladie » et « accidents du travail » à ne pas dépasser, a été exécuté à hauteur de 256,4 milliards d’euros, en dépassement de 1,5 milliard par rapport à la cible votée. C’est une progression de 8,6 milliards d’euros en un an, et de 71,3 milliards d’euros par rapport à 2017. Pourtant, les conditions semblaient réunies pour enfin tenir cet objectif : l’inflation s’est normalisée plus rapidement qu’anticipé et, je le pense, des marges de manœuvre existaient pour faire davantage d’économies. Ce manquement en dit long sur la difficulté à contenir les dynamiques de dépenses structurelles.

La Caisse d’amortissement de la dette sociale créé en 1996 (Cades), pour sa part, a amorti l’an dernier 16 milliards d’euros de dette, allégeant d’autant la charge pesant sur les générations futures, bien que ce montant soit inférieur à celui des années précédentes. L’article 3, enfin, propose une lecture patrimoniale des comptes sociaux, permettant une vision plus complète du bilan des régimes.

Je ne saurais passer sous silence le fait que ce projet de loi a été rejeté en commission, à la suite de la suppression de la totalité de ses articles. Ce rejet exprime une défiance forte, non pas nécessairement à l’égard des chiffres eux-mêmes – qui relèvent d’un constat factuel –mais à l’égard de la gestion des comptes sociaux et d’une stratégie (de redressement) jugée inadaptée, insuffisante au regard des défis que nous devons affronter. Ce sujet est un signal politique fort, qui traduit notre exigence de clarté, de sincérité et, je le crois même si nos propositions diffèrent à ce sujet, d’engagement en matière de maîtrise des finances sociales. J’y serai particulièrement attentif, car il en va de l’avenir de notre modèle de protection sociale. Si j’en crois mon intuition, et sans insulter l’avenir, l’adoption de la motion de rejet préalable qui va être défendue ne nous permettrait même pas d’examiner les articles du projet. Pourtant, il me semble essentiel d’évaluer la gestion passée pour en tirer des leçons. Assurons notre mission de contrôle des dépenses sociales, si mal pilotées. Ne manquons pas ce rendez-vous.

Indépendamment du constat politique, la situation des comptes sociaux appelle une vigilance accrue. Le déficit structurel persistant des régimes de base conjugué à la fin du redressement consécutif à la sortie de la crise sanitaire laisse présager des tensions durables. Les dernières prévisions soumises aux membres du Conseil d’orientation des retraites confirment celles que le Premier président de la Cour des comptes était venu présenter à notre commission en mars dernier, c’est-à-dire un déficit de 6,6 milliards d’euros qui se stabiliserait à ce niveau à horizon 2030. La Cour des comptes, dans son rapport d’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2025, tire la sonnette d’alarme : l’Agence centrale des organismes de la sécurité sociale (Acoss) créé en 1967, qui assure la trésorerie du régime général, voit sa dette croître fortement, atteignant 49 milliards d’euros en 2024.

Si cette tendance se poursuit, le plafond de dette de l’Acoss, actuellement fixé à 65 milliards d’euros, déjà largement rehaussé par la LFSS pour 2025, pourrait être atteint voire dépassé dès 2026, exposant après-demain le régime général à un risque de liquidité inédit. Ce signal doit être entendu : le déséquilibre chronique ne peut se perpétuer sans remise en cause des trajectoires de dépenses et sans réformes de structure. Il ne suffit plus d’amortir la dette sociale ; il faut aussi tarir la source de son accumulation. Cet état de fait suscite des interrogations légitimes sur la résilience de notre système de financement de la sécurité sociale.

À court‑terme – plus court peut-être qu’on ne le pense – se posera la question du refinancement de ces déficits par la Cades, solution dont chacun sait ici à quel point elle se heurte à des obstacles politiques et financiers.

Sur le plan financier, la Cades est déjà fortement sollicitée, avec une trajectoire d’amortissement qui repose sur près de 20 milliards d’euros de recettes spécifiques (CSG, CRDS).

Une nouvelle reprise nécessiterait donc soit de prolonger la durée de vie de la Cades au-delà de 2033, soit d’accroître ses recettes, ce qui équivaudrait à alourdir la charge fiscale des générations actuelles et futures.

Sur le plan politique, une telle opération reviendrait à externaliser une fois de plus le déficit courant, sans effort de redressement en amont, ce qui est incompatible avec l’exigence de soutenabilité des finances sociales. Quant à une modification du périmètre ou de l’horizon d’amortissement de la dette sociale, elle nécessiterait une mesure législative, voire organique, qui pourrait se heurter à une forte opposition du Parlement, dans un contexte de majorité relative et de vigilance renforcée sur la dette publique.

Dans ces conditions, il est impératif de traiter la cause et non uniquement les symptômes du déséquilibre : maîtriser la dynamique de l’Ondam, renforcer les dispositifs de régulation, accroître les recettes par le plein emploi et la création de richesses et assainir la trajectoire des comptes sociaux sans recours systématique à l’endettement. Car à force de repousser les ajustements nécessaires, c’est la soutenabilité du modèle de protection sociale français qui se trouve fragilisée.

Nous devons collectivement prendre la mesure de la situation : ce projet de loi, s’il vise à constater des chiffres, met en lumière des dynamiques préoccupantes. Le redressement des comptes sociaux reste un impératif budgétaire, mais aussi un enjeu de solidarité entre générations. Il est urgent de s’y atteler. Il en va de la pérennité de notre protection sociale. Il en va de notre souveraineté. »

Laisser un commentaire