Intervention de Thibault BAZIN, Rapporteur général, lors de l’audition de Mmes Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et de Montchalin, ministre déléguée, chargée des comptes publics, sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie

Intervention de Thibault BAZIN, Rapporteur général, lors de l’audition de Mmes Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et de Montchalin, ministre déléguée, chargée des comptes publics, sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie

25 juin 2025 Commission - santé 0

Retrouvez ci-dessous mon intervention en commission des affaires sociales lors de l’audition de Mmes Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et de Montchalin, ministre déléguée, chargée des comptes publics, sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.

« Merci Monsieur le président,

Mesdames les ministres,

Mes chers collègues,

Notre commission vous entend, Mesdames les ministres, dans un exercice qui n’est pas habituel, ce qui montre en soi que tout ne va pas comme sur des roulettes. L’alerte est émise !

L’assurance maladie tient une place particulière dans le cœur des Français et il est bien naturel que sa trajectoire budgétaire recueille la plus vive attention des membres du Parlement.

Chaque année, nous votons – à titre rectificatif, prévisionnel ou de constat – l’objectif des dépenses de la branche maladie, maternité, invalidité et décès (soit 261,8 milliards d’euros en 2025, en hausse de 8,8 milliards d’euros en comparaison avec 2024) et, sur un périmètre un peu différent, notamment car il intègre certains postes des branches accidents du travail et maladies professionnelles et autonomie, le fameux objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), avec ses six sous-objectifs.

Avant d’en venir à son risque de dépassement, je voudrais brièvement rappeler à quel point la fixation de l’Ondam pour 2025 pendant l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) a été compliquée, entre l’enveloppe pour les établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad) en difficulté et la demande des établissements de santé d’une augmentation qui ne serait pas un trompe-l’œil à cause de la hausse des cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière (CNRACL).

Car nous parlons bien toujours de progression de l’Ondam : les 265,9 milliards d’euros projetés pour 2025 illustreraient déjà une croissance de 9,5 milliards d’euros par rapport à 2024, année où la hausse était de 8,6 milliards d’euros sur la base du montant de 2023, et ainsi de suite. Quand je suis arrivé à l’Assemblée nationale, en 2017, Mesdames les ministres, l’Ondam était moindre d’environ 80 milliards d’euros…

Habitué aux surconsommations, le législateur a institué il y a un peu plus de vingt ans un comité d’alerte (Cadam), chargé de notifier au Gouvernement, au Parlement et aux caisses concernées le risque sérieux de dépassement de l’Ondam pour plus de 0,5 %, c’est-à-dire 1,3 milliards d’euros cette année. Rien que les effets IJ et l’absence d’économies sur les médicaments constituent à eux seuls un risque de cette ampleur. Donc, le dépassement constaté, madame la Ministre, serait très supérieur à 1,3 milliards d’euros que vous évoquez en face des mesures d’économies pour 1,7 milliards d’euros. Cette alerte a été exprimée par le comité dans son avis du 18 juin dernier et il revient maintenant aux caisses et à l’État de proposer des mesures de redressement. Certaines sont automatiques, en application de la loi ; telles que la suspension des revalorisations prévues pour les soins médicaux alors que ces professions ne sont pas les responsables principaux de ce qui a justifié l’alerte. Vous avez évoqué kinés et médecins. Pas d’impact pour les dentistes et pharmaciens ? Pourriez –vous en préciser le champ exact de ces suspensions ?

Bien sûr, le comité prend la précaution nécessaire pour dire qu’un aléa n’est pas une certitude, mais l’inquiétude est très forte.

D’abord, inutile d’être long quant au fait que les hypothèses générales sur lesquelles reposent les textes financiers pour 2025 sont, au choix, optimistes ou sujettes aux incertitudes de l’économie. Notamment eu égard aux prévisions de croissance très/trop optimistes.

Ensuite, s’agissant de l’Ondam, le comité souligne la « fragilité » de sa construction, car les charges nouvelles dépassent de loin les économies (6,2 milliards d’euros contre 4,3 milliards d’euros) et les premières sont bien plus certaines que les secondes (par exemple, les gains d’efficience dans l’optimisation des achats ou le mode ambulatoire ne sont jamais des certitudes) et aussi car le déficit des hôpitaux publics constitue un « point de fuite ».

Enfin, les impasses caractérisées en avril par le comité paraissent se concrétiser en ce début d’été.

Premièrement, les indemnités journalières confirment leur accélération, avec des dépenses supérieures de 6,7 % à leur niveau de 2024 à la même période. Je précise que l’abaissement du plafond de salaire ne vaut que depuis avril. Les arrêts de travail expliqueraient donc, à eux seuls, au moins 38 % du dépassement. Mesdames les ministres, pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui tient au nombre et à la durée de ces arrêts ? Étant entendu que cela ne relève pas du PLFSS mais d’une autre loi ordinaire pour le secteur privé et du PLF pour les agents de l’État, est-ce qu’il ne serait pas enfin temps d’écouter les propositions de la Droite républicaine pour instaurer des délais de carence beaucoup plus fermes ? Je suis persuadé qu’un changement de paradigme dans le domaine du travail peut alléger les dépenses de la branche maladie par ricochet. N’y a-t-il pas des mesures législatives à envisager avant le PLC et le PLFSS ?

Deuxièmement – notre commission s’y est intéressée tout ce printemps –, le protocole avec les entreprises du médicament devant permettre 600 millions d’euros d’économies n’a pas encore été signé et ne le sera pas, d’après vos propos liminaires madame la Ministre.

Relevons par ailleurs que, dans le même champ pharmaceutique, le comité ne fonde pas beaucoup d’espoirs sur les économies liées à la substitution de biosimilaires. Comment l’expliquez-vous ?

Je passe, troisièmement, par manque de temps mais pas par manque d’intérêt, sur l’efficacité très relative qu’aurait une annulation des sommes mises en réserve, notamment dans le contexte où la hausse des dépenses de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) serait plus forte que la prévision, pouvant là aussi à elle seule représenter l’équivalent de 77 % du dépassement.

Quatrièmement, je n’insiste pas non plus sur les difficultés à conclure une convention avec les taxis dont l’équation territoriale ne semble pas encore assez prise en compte. Oui à une réforme mais qu’elle soit juste.

Cinquièmement, les mots du comité d’alerte sur la maîtrise médicalisée des dépenses de ville sont terribles : « caractère très incertain et circulaire de l’estimation des économies », « année après année, leur réalisation n’est que partiellement documentée », « leur réalité n’est que partiellement avérée », « il n’y a pas de raison qu’il en aille différemment » dans les mois à venir, etc.

Mesdames les ministres, ne laissez pas cet avis du comité rejoindre l’étagère sur laquelle ont déjà échoué de nombreux autres rapports ! Comme j’ai malheureusement eu l’occasion de le dire lors d’une audition de son Premier président en mai, « les discussions parlementaires afférentes à l’Ondam sont déphasées, frustrantes et quasiment de nul effet » : c’est normal, puisque d’un côté ce qui importe vraiment est réglementaire ou conventionnel et puisque de l’autre, pour ce qui relève de la loi, chacun connaît les limites de la recevabilité.

Aussi sommes-nous sans doute certains sur ces bancs à vouloir vous accompagner, mais pour ce qui concerne l’État c’est bien à l’exécutif de prendre ses responsabilités pour assurer la pérennité de notre modèle de santé. Les gisements de modération de la hausse de l’Ondam résident dans des serpents de mer, certes, mais ce n’est pas pour cela que vous devez y renoncer ! Ainsi que nos échanges avec la Cour ont aussi permis de le relever, la prévention vis-à-vis des affections de longue durée, des maladies respiratoires chroniques, de l’insuffisance rénale et d’autres pathologies prouvent que « soigner mieux et plus tôt coûte moins cher que le faire mal et trop tard ». Madame la Ministre, avez-vous renoncé à une approche pluriannuelle ?

En bref, il faut une détermination solide : vous ne trouverez pas de majorité pour le plaisir de la tenue des comptes, mais vous pouvez être soutenues pour éviter que l’assurance maladie obligatoire s’effondre ou que son financement se fasse dans des conditions que les contribuables et les assurés ne pourraient supporter.

Il faut surtout que cela se fasse dans le respect et la considération des acteurs de notre système de santé, à commencer par la concertation préalable et la tenue des engagements.

Je vous remercie. »

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