Intervention de Thibault BAZIN – Audition par la commission des affaires sociales de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur la note relative à la maîtrise de l’Ondam
Retrouvez en vidéo mon intervention en commission des affaires sociales lors de l’audition par la commission des affaires sociales de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur la note relative à la maîtrise de l’Ondam.
« Merci Monsieur le président,
Merci, Monsieur le Premier président, pour la présentation que vous venez de nous faire et à la Cour pour sa contribution.
L’Ondam cumule les paradoxes.
Avec – au dernier pointage – 256,9 milliards d’euros en 2024 puis 265,9 milliards d’euros en 2025, l’objectif équivaut à un peu moins de 40 % des dépenses de la loi de financement de la sécurité sociale et un peu moins de 16 % si l’on considère toutes les administrations publiques.
Son pilotage par les organismes sociaux, sous le regard de l’État, devrait donc être une priorité absolue, tandis que sa révision pour l’exercice en cours et sa fixation pour celui à venir devraient faire l’objet d’un travail approfondi par la représentation nationale. Mais il n’en va pas ainsi et je commencerai par le second point.
Chaque automne, les discussions parlementaires afférentes à cet objectif sont déphasées, frustrantes et quasiment de nul effet.
Le plus important serait de connaître précisément et de pouvoir agir sur les déterminants mêmes de l’Ondam. Or cela échappe largement aux parlementaires : l’on relève que la qualité de la prévision des sous-jacents conjoncturels est plus qu’approximative ; des leviers majeurs comme les tarifs, tickets modérateurs et autres franchises, salaires de base pour les indemnités sont, qu’on s’en satisfasse ou non, du champ réglementaire ou conventionnel ; et puis entre la recevabilité, d’un côté, et la confirmation encore récente, de l’autre, que le Conseil constitutionnel était enclin à censurer des mesures de lutte contre la fraude comme cavaliers sociaux, les députés et sénateurs ne peuvent, pour le dire simplement, pas faire grand chose dans le cadre actuel.
Ainsi en sommes-nous réduits à débattre, dans une confrontation insoluble, du seul taux d’évolution de l’Ondam, pour y plaquer des lectures politiques qui traduisent sa nature hybride, donc illisible.
Vu sous un angle organique, il n’est jamais qu’une cible et n’a pas le moindre caractère contraignant, pas plus qu’il ne relève d’une logique pluriannuelle. De fait, si l’on met de côté la décennie 2010 2019 au cours de laquelle des réformes ont été conduites au début et ont produit leurs effets dans sa seconde moitié, l’Ondam non seulement connaît une progression qui fait passer tout procès en austérité pour une triste plaisanterie, mais dépasse systématiquement le niveau qui lui est fixé initialement, puis celui auquel il est révisé.
Mais vu d’un autre angle, principalement celui des établissements de santé et des établissements sociaux et médico sociaux, il est l’outil d’une gestion fermée, très peu adaptée aux besoins et aux capacités des territoires.
La Cour des comptes, Monsieur le Premier président, résume très clairement l’enjeu : « tout en [préservant] la qualité et la sécurité des soins, assurer la pérennité financière de notre système en conservant les principes de prise en charge pour tous ». J’ajouterai en garantissant l’adhésion collective à notre modèle de santé.
Votre rapport souligne d’emblée que, bien que nécessaire, l’effort salarial du « Ségur » n’a été financé ni par des recettes, ni par des gains d’efficience sur d’autres postes, et que la reprise exceptionnelle d’un tiers de la dette des hôpitaux a été suivie d’une nouvelle dégradation de leurs comptes. Chacun sait néanmoins à quel point ces dispositions sont plus faciles à voter que celles qui répondent à l’emballement des arrêts de travail, à l’évolution des dépenses liées aux affections de longue durée ou au dérapage du volume des médicaments remboursés pour ne citer que ces quelques exemples.
D’ailleurs, les trois axes de suggestions de la Cour des comptes, pour une économie d’environ 20 milliards d’euros d’ici à 2029, n’ont d’ambition que celle de « gager » des dépenses additionnelles.
Quoique pertinentes, ces pistes ne relèvent pas toutes de la LFSS : automatiser la mesure des écarts aux référentiels de prescription, expérimenter une démarche de meilleure efficience des achats, etc.
En revanche, j’espère que nous pourrons nous pencher avec sérieux sur vos propositions quant aux maladies respiratoires chroniques, aux dialyses et à l’insuffisance rénale, car elles sont la preuve que soigner mieux et plus tôt coûte moins cher que le faire mal et trop tard.
J’aimerais aussi que vous nous détailliez votre calcul aboutissant à estimer à 1 milliard d’euros les économies engendrées par la restructuration des services hospitaliers dont les garanties sont insuffisantes. Je souhaiterais également vous entendre sur vos constats et conseils vis-à-vis des hospitalisations, faute de meilleure offre – notamment psychiatrique – mais sans justification médicale, de personnes âgées en situation de handicap.
Naturellement, le nœud gordien est dans vos préconisations 14 et 15 : réduire l’ampleur habituelle des mesures nouvelles dans les PLFSS – en tant que rapporteur général, je dirais : aussi bien au stade du dépôt qu’à la faveur d’amendements gouvernementaux de dernière minute – et mieux responsabiliser les assurés, par exemple dans la délivrance des antalgiques les plus légers ou les frais d’hébergement.
Je suis plus sceptique sur le raisonnement purement comptable qui voit dans la branche accidents du travail et maladies professionnelles une manne où l’on pourrait piocher 2,8 milliards d’euros au prétexte de la sous déclaration, alors que les 2 milliards d’euros que projette l’exécutif d’ici à 2027 me semblent déjà excessifs au regard des perspectives économiques qui se sont dégradées.
Concernant les médicaments innovants, avez-vous évalué le rapport coût/bénéfice de ces innovations non seulement sur l’espérance de vie des Français mais aussi sur la société dans son ensemble ? Ne faudrait-il envisager de nouveaux critères de valorisation intégrant l’impact sociétal ou les gains d’efficience pour l’hôpital des innovations thérapeutiques ? »